Il avait neigé toute la nuit, et les
branches nues des arbres du jardin semblaient avoir été
saupoudrées de sucre glace. Elles se découpaient joliment dans le
ciel bleu délavé du petit matin et cette vision de carte postale
mit Ginette de bonne humeur. Son diabète
ayant miraculeusement disparu, elle avait repris ses habitudes
alimentaires d'autrefois. Elle se servit un
petit déjeuner léger, composé de pudding, dattes, abricots secs,
biscottes beurrées de margarine et agrémentées de sirop
d'érable, et but deux cafés brûlants bien sucrés car elle
projetait d'aller se promener et d'affronter le froid.
Elle sortit ses skis de fond, enfila sa
doudoune et se coiffa d'une chapka en
poils de ragondin. Une fois dehors, elle hésita à se rendre chez
Germain pour lui proposer de l'accompagner. Elle trouvait que son ami
avait pris un coup de vieux depuis quelques temps; ses gestes
devenaient lents, il se voûtait de plus en plus, il fatiguait; alors
qu'elle, se sentait dans une forme olympique. Mais comme il comptait
beaucoup pour elle, ses skis la dirigèrent naturellement vers lui.
En arrivant chez l'octogénaire dur de
la feuille, Ginette dut tambouriner durant un bon quart d'heure en
hurlant le prénom de son cher voisin.
- Voilà voilà, j'arrive, il finit par
dire en ouvrant la porte de son logis. Puis il ajouta, en découvrant
Ginette radieuse et emmitouflée dans sa doudoune jaune poussin:
- Oh Ginette,
quelle bonne surprise ! Quel bon vent vous amène ? Quelle mine
resplendissante et quelle jolie chapka !
- N'est-ce pas qu'elle est magnifique,
approuva Ginette en passant ses doigts dans la fourrure soyeuse du
chapeau. Figurez-vous que c'est un prince russe qui me l'a offerte
lors de mon dernier voyage à Saint-Pétersbourg.
A ces mots, l'homme éprouva un petit
picotement de jalousie et s'en voulut terriblement de n'avoir jamais
offert de cadeau à cette voisine qu'il trouvait plus belle de jour
en jour.
- C'est pas tout ça, reprit Ginette.
La neige est fraiche et le froid vivifiant, m'accompagnerez vous en
promenade dans les bois ? Puis, elle ajouta en chuchotant :
- Pendant que le loup n'y est pas...
Ils
quittèrent le lotissement et s'engagèrent sur un chemin qui menait
à un petit bois.
La
Mort y attendait Ginette. Cachée derrière un arbre, un rictus
maléfique déformait sa bouche et dans son regard vide passait une
inquiétante lueur rouge. Elle glaçait l'atmosphère dans un rayon
de cent mètres autour d'elle. Le petit cœur des oiseaux et des
rongeurs qui se trouvaient dans ce périmètre démoniaque, cessait
de battre. Les insectes eux-mêmes se figeaient, se
recroquevillaient, et mouraient. La Grande Faucheuse avait décidé
d'éliminer celle qui était devenue son pire cauchemar d'une perfide
façon : d'abord l'engourdir, la paralyser par un froid terrible,
pour enfin profiter de son état de faiblesse et l'achever. Elle
n'osait plus affronter directement Ginette. La «vieille dame» lui
avait fait perdre confiance, elle doutait maintenant de ses capacités
et hésitait à l'attaquer. Elle craignait tellement d'échouer.
Le feu
aux joues, effet du double café et de ses efforts en ski de fond,
Ginette ne sentait pas que l'air s'était soudainement glacé. Quant
à Germain, il ne pouvait pas davantage sentir le grand froid : ses
efforts physiques et ses sentiments pour Ginette le réchauffaient.
Une douce chaleur bienveillante enveloppait les deux compagnons. Ils
traversèrent le petit bois entourés d'un halo protecteur que le
froid ne pouvait traverser. Leur complicité et leur affection
mutuelle les rendaient invincibles.
Le
sombre dessein de La Grande Faucheuse ne put se réaliser... Elle
émit un hululement lugubre, lancinant et tourmenté.
De
retour de promenade, Ginette invita Germain à boire un thé aux
herbes de cimetière, réputé donner de la vitalité aux vivants.
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