jeudi 10 avril 2014

Chapitre 5: Froid comme la mort

Il avait neigé toute la nuit, et les branches nues des arbres du jardin semblaient avoir été saupoudrées de sucre glace. Elles se découpaient joliment dans le ciel bleu délavé du petit matin et cette vision de carte postale mit Ginette de bonne humeur. Son diabète ayant miraculeusement disparu, elle avait repris ses habitudes alimentaires d'autrefois. Elle se servit un petit déjeuner léger, composé de pudding, dattes, abricots secs, biscottes beurrées de margarine et agrémentées de sirop d'érable, et but deux cafés brûlants bien sucrés car elle projetait d'aller se promener et d'affronter le froid.

Elle sortit ses skis de fond, enfila sa doudoune et se coiffa d'une chapka en poils de ragondin. Une fois dehors, elle hésita à se rendre chez Germain pour lui proposer de l'accompagner. Elle trouvait que son ami avait pris un coup de vieux depuis quelques temps; ses gestes devenaient lents, il se voûtait de plus en plus, il fatiguait; alors qu'elle, se sentait dans une forme olympique. Mais comme il comptait beaucoup pour elle, ses skis la dirigèrent naturellement vers lui.

En arrivant chez l'octogénaire dur de la feuille, Ginette dut tambouriner durant un bon quart d'heure en hurlant le prénom de son cher voisin.
- Voilà voilà, j'arrive, il finit par dire en ouvrant la porte de son logis. Puis il ajouta, en découvrant Ginette radieuse et emmitouflée dans sa doudoune jaune poussin:
- Oh Ginette, quelle bonne surprise ! Quel bon vent vous amène ? Quelle mine resplendissante et quelle jolie chapka !
- N'est-ce pas qu'elle est magnifique, approuva Ginette en passant ses doigts dans la fourrure soyeuse du chapeau. Figurez-vous que c'est un prince russe qui me l'a offerte lors de mon dernier voyage à Saint-Pétersbourg.
A ces mots, l'homme éprouva un petit picotement de jalousie et s'en voulut terriblement de n'avoir jamais offert de cadeau à cette voisine qu'il trouvait plus belle de jour en jour.
- C'est pas tout ça, reprit Ginette. La neige est fraiche et le froid vivifiant, m'accompagnerez vous en promenade dans les bois ? Puis, elle ajouta en chuchotant :
- Pendant que le loup n'y est pas...

Ils quittèrent le lotissement et s'engagèrent sur un chemin qui menait à un petit bois.
La Mort y attendait Ginette. Cachée derrière un arbre, un rictus maléfique déformait sa bouche et dans son regard vide passait une inquiétante lueur rouge. Elle glaçait l'atmosphère dans un rayon de cent mètres autour d'elle. Le petit cœur des oiseaux et des rongeurs qui se trouvaient dans ce périmètre démoniaque, cessait de battre. Les insectes eux-mêmes se figeaient, se recroquevillaient, et mouraient. La Grande Faucheuse avait décidé d'éliminer celle qui était devenue son pire cauchemar d'une perfide façon : d'abord l'engourdir, la paralyser par un froid terrible, pour enfin profiter de son état de faiblesse et l'achever. Elle n'osait plus affronter directement Ginette. La «vieille dame» lui avait fait perdre confiance, elle doutait maintenant de ses capacités et hésitait à l'attaquer. Elle craignait tellement d'échouer.

Le feu aux joues, effet du double café et de ses efforts en ski de fond, Ginette ne sentait pas que l'air s'était soudainement glacé. Quant à Germain, il ne pouvait pas davantage sentir le grand froid : ses efforts physiques et ses sentiments pour Ginette le réchauffaient. Une douce chaleur bienveillante enveloppait les deux compagnons. Ils traversèrent le petit bois entourés d'un halo protecteur que le froid ne pouvait traverser. Leur complicité et leur affection mutuelle les rendaient invincibles.
Le sombre dessein de La Grande Faucheuse ne put se réaliser... Elle émit un hululement lugubre, lancinant et tourmenté. 
  
De retour de promenade, Ginette invita Germain à boire un thé aux herbes de cimetière, réputé donner de la vitalité aux vivants.
 

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